Ab jove principium.
"Dites-moi
si l'homme qui se hait soi-même est capable d'aimer autrui, si celui
qui se combat soi-même peut s'entendre avec quelqu'un, si celui qui est
à charge de soi même peut être agréable à un autre. Pour le prétendre,
il faudrait être plus fou que moi. Eh bien, s'il on me chassait de la
société, nul ne pourrait un instant supporter ses semblables, chacun
même se prendrait en dégoût et en haine. La Nature,
souvent plus marâtre que mère, a semé dans l'esprit des hommes, pour
peu qu'ils soient intelligents, le mécontentement de soi et
l'admiration d'autrui. Ces dispositions assombrissent l'existence; elle
y perd tous ses avantages, ses grâces et son charme. A quoi sert en
effet, la beauté, présent suprême des Immortels,
si elle vient à se flétrir? A quoi bon la jeunesse, si on la laisse
corrompre par un ennui sénile? Dans toutes tes actions, le premier
principe que tu dois observer est la bienséance; tu ne t'y tiendras
envers toi-même, comme envers les autres, que grâce à cette heureuse
Philautie, qui me sert de sœur, puisque partout elle collabore avec
moi. Mais aussi comment paraître avec grâce, charme et succès, si l'on
se sent mécontent de soi? Supprimez ce sel de la vie, aussitôt
l'orateur se refroidit dans son discours, la mélodie du musicien
ennuie[..].
Tant il est nécessaire que chacun se complaise en soi-même et s'applaudisse le premier pour se faire applaudir des autres ! "
Érasme-Éloge de la folie, XXII
(article repris en parallèle de mon autre blog.)